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Facebook pour le recrutement, un objet de représentation sociale ? Approche exploratoire par l’analyse prototypique.

Cette analyse exploratoire fournit quelques repères sur une éventuelle représentation sociale d’un dispositif numérique, Facebook. Un des intérêts de ce résultat est de penser la nature des influences qui pèsent sur les internautes. Si le déterminisme technologique a souvent été souligné pour les usages de l'internet dans la littérature, cette recherche exploratoire met en évidence une possible influence sociale sur les usages et un effet important du temps long sur la compréhension des logiques des internautes.

Dans un autre monde, les candidats à un recrutement répondaient à une offre d’emploi publiée dans un journal. Aujourd’hui, la communication de recrutement s’est largement digitalisée et la mise en relation entre candidats et organisations passe souvent par une navigation internet. Les sites internet des organisations ont été les premiers supports à adopter cette évolution (Young et Foot, 2016) puis les réseaux socionumériques ont été intégrés à cette communication de recrutement 2.0. Des entreprises du CAC 40 ont notamment créé des pages Facebook sur le recrutement, des comptes Twitter, Instagram ou Pinterest, jusqu’à Snapchat qui n’est pas été oublié pour communiquer auprès des candidats à un recrutement.
Dans la même période, les usages des internautes se sont ancrés dans un temps long (Jauréguiberry et Proulx, 2000) favorable à la construction de représentations. Les groupes sociaux que peuvent être certaines classes d’élèves ou promotions d’étudiants facilitent l’émergence de représentations sociales (Moscovici, 1976) partagées par les membres du collectif concerné.
Si l’écologie, la maladie mentale, l’école, etc. sont des objets de débats associés à des représentations sociales, les réseaux socionumériques sont aussi des candidats potentiels. En effet, ils provoquent de nombreux discours et prises de position au sein des groupes sociaux. Pour autant, cette construction sociale est apparue dans le contexte de la vie privée alors que certaines organisations les utilisent dans un contexte professionnel, notamment de recrutement.
C’est pourquoi, nous avons souhaité explorer l’hypothèse de l’existence de représentations sociales des réseaux socionumériques dans la situation de recrutement. Pour cela, nous résumerons rapidement notre ancrage scientifique puis exposerons les résultats de cette exploration qui a utilisé le logiciel Iramuteq (Ratinaud, 2009).

Ancrage et choix méthodologiques

 

Pour pouvoir approcher une possible représentation sociale des réseaux socionumériques, nous positionnons ce travail dans le courant de recherche du modèle structural (Moliner et Guimelli, 2015). En effet, le temps des usages longs peut favoriser l’apparition de représentations structurées autour d’un noyau central stable, entouré d’une périphérie plus variable. Par ailleurs, cette approche des représentations sociales nous parait adaptée à une première exploration. Dans ce cadre, nous avons choisi la méthode de l’analyse prototypique. Cette dernière a été systématisée par Vergès (1992) et appartient aux techniques associatives (Flament et Rouquette, 2003). Elle consiste à demander à des participants de fournir spontanément des mots qu’ils associent à un objet. Ensuite, ils doivent classer ces mots selon un rang d’importance. Le corpus obtenu peut se classer selon leur fréquence d’apparition et leur rang (tableau 1).
Tableau de synthèse d’une analyse prototypique (adapté de Moliner et Guimelli, 2015, p. 56).

Tableau 1. Tableau de synthèse d’une analyse prototypique (adapté de Moliner et Guimelli, 2015, p. 56).

La zone du noyau correspondrait alors aux formes dont la fréquence est maximale et le rang élevé. Ce sont les formes les plus citées et les mieux classées. La périphérie du noyau moins structurée renverrait aux formes moins fréquentes ou moins bien classées. Les éléments contrastés seraient les formes qui sont peu fréquentes mais ont un bon classement (Moliner et al., 2002).
Pour explorer cette logique représentationnelle, nous avons d’abord choisi le réseau socionumérique Facebook car son usage est ancien et cette durée peut être favorable à l’émergence d’une représentation sociale structurée. Par ailleurs, nous avons interrogé des étudiants de première année universitaire en IUT, une population a priori concernée par le recrutement et connaissant Facebook.

Etapes de la méthode

 

Pour recueillir nos données, nous avons utilisé un questionnaire en ligne créé avec Limesurvey (. Les questions posées étaient alors :
1. En tant que chercheur d'emploi ou de stage, quels sont les 4 mots ou expressions qui vous viennent spontanément à l'esprit à propos de Facebook ?
2. Classez vos réponses de 1 à 4 en cochant un bouton à chaque réponse, en accordant le rang 1 à la réponse qui est pour vous la plus caractéristique de Facebook. Un mot a un et un seul rang ou classement.
Ce questionnaire a été posé à 137 étudiants de première année de l’IUT de Rodez à l’automne 2015. Les réponses sont enregistrées dans une feuille de calcul (fig. 1).


Extrait du corpus des réponses au questionnaire

Figure 1. Extrait du corpus des réponses au questionnaire.

Le corpus est ensuite nettoyé (fautes d’orthographes, suppression des majuscules, etc.). Nous avons alors obtenu 548 mots et expressions associées à Facebook dans un contexte de recrutement pour ces étudiants. Les formes les plus fréquentes sont : réseau social (44), communication (39), partage (38), ami (29), information (29), vie privée (28), photo (18), contact (16). Enfin, ce tableau est ouvert dans Iramuteq (Fichier->Ouvrir une matrice) pour être traité.

Principaux résultats

 

Une première approche de la structure du corpus est obtenue par une analyse de similitude (indice de cooccurrence, présentation de Fruchterman, seuil pour les arêtes : 2, mise en évidence de communautés) (fig. 2).
 Analyse de similitude du corpus

Figure 2. Analyse de similitude du corpus.

La première communauté de formes (en haut, bleu sur fond vert) est associée au contexte du réseau socionumérique associant vie privée, communication mais aussi danger. Le deuxième ensemble (marron sur fond rose) souligne la fonction de partage de photos avec des amis. Le troisième ensemble est plus délicat à interpréter, moins important en nombre de formes et pourrait correspondre à un champ sémantique de la forme 'réseau social'. La structure de ce corpus de plus de 500 formes renvoie au contexte et aux usages de Facebook pour ces étudiants.
L’analyse prototypique permet d’affiner ce premier résultat (fréquence et rang limites automatiques moyennes, fréquence minimal : 3) (fig. 3)
Analyse prototypique du corpus

Figure 3. Analyse prototypique du corpus.

La zone pouvant correspondre possiblement au noyau comprend les formes dont le rang est inférieur à 2,35 et la fréquence supérieure à 8,5. Par exemple, l’expression ‘réseau social’ est présente 41 fois pour un rang moyen de 1,6. Cette zone renvoie aux formes qui apparaissent comme les plus importantes pour cet échantillon. Elles correspondent à la nature de Facebook qui est, selon cet échantillon, un ‘réseau social’ (formes non lemmatisées au singulier et au pluriel) qui a comme finalité, la ‘communication’ (citée 35 fois pour un rang moyen de 2,2) et le ‘partage’ (cité 27 fois pour un rang moyen de 2,3).
La périphérie est formée d’un premier ensemble avec des formes fréquentes mais moins bien classées. Celle-ci correspond au contexte préférentiel de Facebook pour cet échantillon qui est la ‘vie privée’ (20 occurrences pour un rang de 2,5) et le ‘contact’ (13 occurrences pour un rang de 2,7) avec les ‘amis’ (fréquence 24 pour un rang moyen de 2,5). Ces deux premières formes (‘amis’ et ‘vie privée’) sont proches du noyau mais ont été placées dans la première périphérie en raison d’un rang légèrement supérieur à 2,35 (2,5 pour ces formes). Les autres formes associées sont plus proches des risques de Facebook avec la forme ‘danger’ (citée 10 fois pour un rang moyen de 2,9) ou ‘internet’ (cité 9 fois pour un rang moyen de 2,8).
Dans ce corpus, la représentation partagée se structure ainsi autour de la fonction de Facebook qui est un réseau social associé à la vie privée. Les dangers de ce type de réseau socionumérique, possiblement appris au collège et au lycée, apparaissent assez fortement pour cet échantillon.
La seconde périphérie recueille un mélange de formes qui renvoient à cette représentation centrée sur les usages de Facebook (ami au singulier, photo, partager, groupe, etc.) et ses risques (inutile, espionnage, e-réputation, etc.).
Enfin, les éléments contrastés regroupent les formes dont le classement est plutôt élevé (plus de 2,35 pour ce corpus) mais la fréquence plutôt faible (moins de 8,5 dans ce cas). Les formes correspondent aux logiques soulignées précédemment avec des nuances sur des aspects positifs de Facebook comme la ‘communauté’ qui peut aussi être associée à ‘ami’ ou encore la ‘visibilité’ qui renvoie aussi à l’e-réputation’.
En synthèse, l’exploration de ce corpus met en évidence une possible représentation sociale de Facebook qui serait structurée autour de l’usage de ce dispositif associé à la communication avec des amis dans l’espace de la vie privée. Cet usage présente des risques, des dangers à replacer dans la problématique plus générale de la visibilité sur l’internet.

Discussion et limites

 

Cette analyse exploratoire fournit quelques repères sur une éventuelle représentation sociale d’un dispositif numérique, Facebook. Un des intérêts de ce résultat est de penser la nature des influences qui pèsent sur les internautes. Si le déterminisme technologique a souvent été souligné pour les usages d’internet dans la littérature (Cardon, 2015), cette recherche exploratoire met en évidence une possible influence sociale sur les usages et un effet important du temps long sur la compréhension des logiques des internautes.
De même, une représentation de Facebook centrée sur la communication privée entre amis questionne la situation du recrutement dans laquelle est placé ce dispositif. En revenant au corpus initial de cette recherche (fig. 1), certains considèrent que Facebook est « un outil de recrutement » ou du « recrutement 2.0 » mais il est aussi considéré comme « mauvais pour le recrutement ». Ces expressions peu fréquentes n’apparaissent pas dans les résultats de l’analyse prototypique mais posent la question de l’usage d’un dispositif considéré comme privé dans un contexte professionnel. Les réponses obtenues avec cet échantillon balancent entre adaptation et remise en cause de Facebook comme outil de recrutement.
Malgré ces résultats, cette recherche présente aussi un certain nombre de limites. D’abord, l’échantillon et le dispositif étudié, Facebook, sont particuliers et une enquête comparable pour un échantillon et un dispositifs différents permettrait de relativiser ces résultats. De même, ce type d’approche ne permet pas de valider l’existence d’une représentation sociale ou sa structure. D’autres recherches investissant plutôt des entretiens qualitatifs individuels et collectifs ont permis de confirmer, nuancer et préciser ces premières hypothèses en montrant notamment que Facebook n’est pas un outil adapté au recrutement (Pélissier, 2018).
Malgré ces limites, l’exploration de ce type de corpus exploratoire fournit un champ lexical intéressant pour un objet potentiel de représentation sociale. Cette première étape, facilitée par l’usage d’outils numériques libres, peut se poursuivre avec des moyens d’investigations plus précis et surtout plus profonds.

Remerciements

Merci à E. PUSSAULT, L. LOUBERE et P. RATINAUD chercheurs au LERASS ainsi qu'I. VIDALENC, chercheuse à l'IDETCOM pour leur aide lors de la conception du questionnaire sur Limesurvey.

Bibliographie

 

CARDON, Dominique, 2015. A quoi rêvent les algorithmes ? Paris : Seuil. La république des idées.
FLAMENT, Claude et ROUQUETTE, Michel-Louis, 2003. Anatomie des idées ordinaires, comment étudier les représentations sociales. Paris : Armand Colin.
JAURÉGUIBERRY, Francis et PROULX, Serge, 2000. Usages et enjeux des technologies de communication. Toulouse : Erès.
MOLINER, Pascal et GUIMELLI, Christian, 2015. Les représentations sociales. Grenoble : PUG. Série psychologie sociale.
MOLINER, Pascal, RATEAU, Patrick et COHEN-SCALI, Valérie, 2002. Les représentations sociales, pratique des études de terrain. Presse universitaire de Rennes. Didact psychologie sociale.
MOSCOVICI, Serge, 1976. La psychanalyse, son image et son public. Paris : Presses universitaires de France.
PÉLISSIER, Daniel, 2018. Thèse de doctorat. Paradoxes communicationnels du recrutement : la construction identitaire numérique des banques et les jeunes diplômés, entre marque employeur et isomorphisme. Toulouse : Université Toulouse 1 Capitole.
RATINAUD, Pierre, 2009. Iramuteq. Lerass.
VERGÈS, Pierre, 1992. L’évocation de l’argent : une méthode pour la définition du noyau central d’une représentation. Bulletin de Psychologie. 1992. Vol. XLV, n°409, pp. 203 209.
YOUNG, Jun et FOOT, Kirsten, 2006. Corporate E-Cruiting: The Construction of Work in Fortune 500 Recruiting Web Sites. Journal of Computer-Mediated Communication. 2006. Vol. 11, pp. 44–71.

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